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L'une vit au milieu de la Méditerranée, l'autre sur les rives de l'Atlantique. Ils ne se sont jamais vus mais écrivent à quatre mains et deux citrons givrés.

miércoles, 30 de marzo de 2011

5. Léa sauvée grâce à Jean-Pierre Melville

(Résumé du chapitre précédent : Au comité de rédaction de Webactu, lorsque Léa veut parler à propos du prix Nobel, c’est l’explosion dans les locaux. Elle se retrouve à l’hôpital, estampillée coupable de la bombe par le commissaire Lebourrin qui est chargé de l’affaire. Nils, un géant venu du froid, fait une apparition remarquée entre ses collègues journalistes à la sortie de l’hôpital. On dit qu’il a le béguin pour Léa. Lebourrin la voit dépressive.)

L’ensemble de l’univers était réduit à un carré irrégulier de couleur verdâtre, en son centre comme un pulsar nouveau genre. Le caisson de plexiglas contenait un ou plusieurs néons et attirait irrémédiablement toutes sortes d’insectes volants, qui achevaient leurs carrières de parasites trop curieux en grésillant tout le long de leur désir. Leurs restes tombaient dans le caisson de plexiglas avec des bruits imperceptibles qui tracassaient Léa. Les avait-elle entendus ou n’était-ce qu’un irritant cauchemar ?

Depuis le cocon comateux des analgésiques, elle s’interrogeait : s’agissait-il du même insecte qui taraudait et grignotait ses os, ses côtes, sa pauvre tête livrée à une armée de Gremlins fanatiques. Elle n’était plus qu’une gigantesque douleur recroquevillée au fond d’un lit inconnu, sous le feu de néons verdâtres et ne se rappelait de rien. Comment était-elle arrivée ici ? Pourquoi était-elle si faible ? Que lui voulait-on ? Lorsqu’elle trouva enfin assez de forces pour se redresser sur un coude, ce fut pour entrevoir, se découpant sur la porte vitrée, une silhouette musclée. Apparemment, quelqu’un était là au-dehors, et attendait. Qui cela pouvait-il bien être ? Elle pressa le bouton rouge pour appeler l’infirmière. A défaut de répondre à ses questions, celle-ci pourrait toujours l’accompagner aux toilettes. Lorsqu’elle vint enfin, avec sa démarche nonchalante, ses paroles toutes faites, sa troisième personne du singulier, Léa tenta de discerner qui montait la garde au-dehors mais l’infirmière semblait prendre un malin plaisir à lui boucher la  vue.
                   - Alors ? Elle va mieux ?!

Tandis que l’attentionnée infirmière la soutenait professionnellement au-dessus du trône, Léa se mordit les lèvres avant de lui demander ce qu’elle faisait là. Elle savait que ce n’était pas une bonne idée. L’infirmière eut un inquiétant regard oblique avant de se mettre à rire légèrement.
-          Ne vous inquiétez pas. C‘est le processus normal de guérison….ajouta-t-elle en refermant la porte.
                  
Léa nota le bruit de la clenche que l’on referme. Elle était enfermée à clef et il y avait toujours quelqu’un devant la porte. Sans doute devait-on la considérer comme suspecte, sous le couvert vernissé de « protection rapprochée ». La jeune femme tenta de rassembler ses souvenirs épars comme les restes des camps de Sabra et Chatila après l’assaut. Ici un bidon jaune marqué d’un logo noir, où était-il ? Puis un nom, incomplet : David Carleton … quelque chose… Joël, Joël, Joël, le rédac’ chef (de quoi ?) qui essayait de lui dire autre chose… Il gueulait comme un con mais on n’entendait rien… Un livreur de pizzas…. Deux margaritas, une quatre staggiones, une bomba mexicana au chorizo… Ça n’avait pas de sens… On aurait dit Berlin à l’entrée des alliés… Berlin… Berlin… Ça, au moins, ça lui disait quelque chose, Berlin… Un instant elle eut peur de s’être fait arrêter lors des manifestations… Oui, les déchets nucléaires… Elle était sans doute blessée… Puis Léa sombra dans le sommeil, sans le moindre signe avant-coureur.

 
Lebourrin somnolait dans une de ces pièces des années 70 qu’il affectait tant, de par leur capacité à l’absorber. Il devenait placo-plâtre, amiante, poutrelle d’acier, se moulait dans les parements invisibles et rectilignes, se tamisait au travers des rideaux beiges à fleurs vertes.  Seul dans ces univers sans la moindre allusion à Internet, ces ambiances de sa jeunesse, qui l’avaient accompagné tout au long de sa carrière à la préfecture de Police de Paris, sa pensée se clarifiait, s’abstrayait, se purifiait. Les bâtiments archaïques de l’île de la Cité abritaient une infinité de pièces, une véritable anthologie du style des années 70, qui avait été installée par-dessus les fresques et les lambris. Depuis, il avait été muté d’arrondissement en arrondissement jusqu’à échouer rue de Surène, dans l’élégant hôtel particulier du ministère de l’Intérieur, récemment rénové par Philippe Stark, dont Lebourrin ne supportait pas les « bidouillages ». Heureusement, il restait à Paris suffisamment d’administrations publiques plus ou moins à l’abandon pour que la tranquille méditation à laquelle invitaient les pièces des années 70  soit pour le moment préservée. Certes la Justice était aveugle. Le commissaire Lebourrin n’avait-il pas droit à ses propres turpitudes ? Il y eut comme un bruit dans un couloir proche. Le commissaire réprima un sourire.
                   - Hé, Coco, tu nous amènes la pause-café ?
- Ben ouais, Lebourrin, tu m’connais… On fait la paire, non ?

Lebourrin lui ouvrit la porte du secrétariat de la Francophonie où il se trouvait. Coco se faufila à l’intérieur, son nez de fouine toujours goutteux, deux yeux trop bleus pour être honnêtes, trop proches et trop petits, comme tout le reste de son être. Il sortit son matériel de ses poches :
- Cette fois-ci, ça vient de Galicie, c’est du bon, au moins 70% !

Le problème avec Coco, c’est qu’il refusait de se mettre à table avec quelqu’un ne partageant pas ses goûts. Ainsi Lebourrin, sous ses apparences tranquilles de Maigret un peu gonflé, avait pris goût à la meilleure des cocaïnes. Il s’auto disculpait en se persuadant que la cocaïne était le parfait stimulant intellectuel pour les enquêtes les plus complexes et puis merde, même Sherlock Holmes se shootait et lui Lebourrin ne faisait que sniffer! Coco était son meilleur indic, il était branché en permanence sur Radio-Égout et savait tout du plus sombre de Paris. Mais curieusement, ce soir-là, ce fut lui qui commença à poser des questions. Ça ne lui ressemblait guère. Jusque-là, il semblait bien éduqué. Cinq ans à l’île de Ré, avec seule vue sur les mouettes, ça vous redresse la tantouze la plus tartignolle.
-          Vous voulez un Coca light, mon commandant ?
-          Tu me prends pour une pédale ? Dis-moi plutôt ce qu’on raconte sur nous en sous-sol… et cesse de m’appeler commandant, petit con, ou je te fourre en garde à vue au commissariat de Rungis !
-          Ouh, quel rêve, mon commandant, et qu’est-ce qu’il faut faire pour ça ?
-          Ce que tu sais faire le mieux. Raconte.
-          Bah. Rien de bien original. Marcel, comme tes supérieurs, dit que la gamine est une rouge sensationnaliste et qu’elle a fait ça pour attirer l’attention sur sa feuille de chou virtuelle. Y savent plus quoi inventer…
-          Et comment tu sais ce qu’en pensent mes supérieurs, hein, tête de nœud ? Mais la manœuvre promotionnelle avec 5 morts à la clé dont le rédac’ chef, n’est pas extrêmement adaptée aux lois du marketing moderne…
-          Tenez-vous en aux faits, mon commandant. Mieux vaut pas s’aventurer en terrain glissant. Dites-vous que personne n’est à l’abri d’une mutation en Corse.
-          Ferme-la, mets la télé, il paraît que notre grand Manitou va causer dans le poste.

En direct de l’hôtel de Surène, le Ministre de l’Intérieur, assis à sa table trop résolument moderne, sous les lambris dorés, réajusta le nœud de sa cravate bleu-blanc-rouge, qui était devenue un de ses signes distinctifs.
-         Des sources bien informées de notre Ministère nous permettent d’avancer que l’enquête sur le terrible attentat au siège parisien de Webactu progresse. Nous pouvons donc pour l’heure affirmer que les responsables, affiliés aux mouvances islamistes, seront tous interceptés et conséquemment châtiés. L’emploi de l’explosif Gomma 2 laisse penser qu’il pourrait s’agir d’explosifs subtilisés lors du vol perpétré dans la carrière militaire des Hautes-Alpes cet été. Onze personnes ont été placées en garde à vue. Nous avons ouvert des procédures d’expulsion vers l’Algérie.

Lebourrin et Coco regardaient ça bouche bée, enfin surtout Lebourrin.
- Ah bien merde alors, ça c’est nouveau….
- Qu’est-ce qu’il y a mon commandant, pas d’islamistes sous la main ?
- Ça se fabrique, c’est pas ça le problème… Mon petit pote, c’est la première fois de ma longue carrière que je me fais enculer par ma hiérarchie…
- Un peu de vaseline, peut-être ? Ça aide à faire passer les choses, commandant…
- Vas chier. Petit con.


L’infirmière blondissime, avec son petit calot posé juste comme il fallait, sa blouse ajustée dont les boutons suppliaient qu’on les délivre, ses bas couture et son sillage de parfum Numéro Cinq à peine discret, avaient passé tous les contrôles sans problèmes, bien qu’elle ne porte pas le badge de l’hôpital. Mais elle était si bandante, la matérialisation d’un phantasme, qu’on en oubliait sa présence dans l’instant. Elle se dirigea tranquillement vers la chambre de Léa, comme si elle savait exactement ce qu’elle faisait. Un hochement de tête évanescent vers le gorille de garde du commissaire Lebourrin, un coup d’œil maussade à la feuille de service et elle était dans la chambre de Léa sans que personne ne s’y soit opposé. Elle ferma le verrou de l’intérieur puis se jeta sur le lit où était endormie Léa et plaqua sa main sur la bouche de celle-ci, qui ouvrit d’immenses yeux terrorisés.
-          Chut, chut, ma chérie, mon cœur, pas de panique. C’est moi Dagmar, la femme de ta vie, ton amante idéale, chuuut ! Tu me reconnais ? Enfin, Léa, cesse de paniquer, regarde-moi ! Je suis Dagmar !

D’un mouvement de tête, elle envoya valser la perruque blonde et Léa retrouva enfin le cheveu rasé, noir de jais, de sa complice amoureuse. Entre les larmes elle lui sourit.
- Tu es folle. Tu es venue depuis Berlin…
                   - Non mais qu’est-ce que tu crois ? Que j’allais les laisser t’assassiner ? Non mais puis quoi encore ? Quand ils ont donné la nouvelle de l’attentat puis de ton arrestation, j’aurais dû faire la fête porte de Brandeburg ? Toi qui m’as aidée pour le train des déchets nucléaires en Allemagne, j’aurais dû te laisser te démerder avec tes bidons radioactifs dans les universités françaises, je suppose ?
- Mais comment as-tu passé les contrôles ?
- Oh, ça, c’est grâce à Jean-Pierre Melville. Dans une scène de son film « Un flic », Catherine Deneuve rentre de cette façon dans un hôpital.

Mais l’Allemande avait des nouvelles bien plus importantes à communiquer à Léa. Elle la saisit aux épaules et lui ficha son fameux regard vert entre les deux yeux.
- Joël n’est pas mort.
- Mais… Mais… Mais alors ?
- Le plus important c’est qu’il m’a chargée de te dire que tu es confirmée pour ton enquête.
- Mais… l’autre… le mort… Qui est-ce?
- A ton avis ?...
- L’auteur de l’attentat ?...
- Disons plutôt le pauvre crétin qui a porté le chapeau pour le compte de la DGSE…

martes, 22 de marzo de 2011

4. Léa et compagnie s’envoient en l’air !


(Résumé du chapitre précédent : un prix Nobel américain poursuivi par son gouvernement et qui décède d’un cancer foudroyant alors qu’il avait fréquenté l’université Paris V, étonnant non ? C’est Léa qui s’y colle ! Mais de monstrueuses pizzas s’introduisent chez Webactu…)


Le verbe converger conjuguait au présent de l’indicatif quelques types salaces, affamés en grève de sensations,  bouffant du regard la seule femme à l’est de cette conférence de rédaction, tout en grignotant distraitement leur pizza. Personne n’avait touché à la bombe mexicaine. Ils avaient peur du piment, à n’en pas douter. Léa  connaissait le point faible de chacun et savait où frapper. Les ablutions et autres allusions déplacées à son égard, elle leur carrait bien profond dans le fion, histoire de tuer la bête en eux. Elle croisa leurs regards et grimaça une mimique appuyée du coin des lèvres.
-          Daniel Carleton Gajdusek bien que mort transpire toujours. Il résulte de ses études un phénomène classé top secret…

Faisant péter le suspense, une soudaine déflagration dilata l’atmosphère et souffla les vitres et leur structure d’acier en entraînant dans son sillage Joël et Maurice tandis que la table ronde propulsée sous l’onde de choc vint aplatir le crâne chauve de Thierry. Léa par miracle atterrit dans le canapé ferme et imprima son empreinte corporelle dans le cuir usé.

Flou artistique, deux pupilles jouant aux dés dans les prés et deux lèvres dégageant un champ de chicots jaune citron s’ouvraient comme pour la bouffer. Des vapeurs d’ail trempées dans du picrate de messe lui empestaient le tarin. Bad trip ! Une douleur fulgurante sur le côté droit la tançait.  Les sédatifs avaient cédé devant le flot chimique de la peine, emportant les digues du supportable. Elle parlait d’une voix sourde, retenue, déformée par les hoquets de la souffrance :                                                                                                                  
                   - Je ne me souviens de rien, je vous dis…

L’interne s’interposa avec véhémence, son stéthoscope en démence face au commissaire de police qui avait exigé ce face-à-face peu thérapeutique avec sa patiente.  
-          Je vous avais accordé deux minutes, Lebourrin, pas une seconde de plus. Vous voyez bien que ma patiente est en état de choc ! Vous représentez peut-être la loi, mais laissez-moi vous assurer que la science vous dit que cette femme a besoin de repos.

L’intéressé cligna des yeux et sortit calmement une cigarette qu’il tapota longuement sur son paquet, à la plus grande horreur du toubib, qui souffla énergiquement sur la flamme de son briquet.
-          Foutez-moi le camp. Il est interdit de fumer dans les hôpitaux. Vous ne connaissez pas la loi ?

Haussant les épaules, Lebourrin grogna comme dans les films de série B: « C’est bon, Tarid, je veux un homme en faction devant la chambre de la suspecte et vous le toubib, vous me tenez au courant jour et nuit de son état de santé. Compris ? »
Après le départ des pandores, les blouses blanches s’affairèrent autour du lit. Une seringue planta son dard et répandit son liquide chaud et visqueux dans les veines de Léa qui embrassa Morphée à la revoyure.

Les fouilles-merde des vespasiennes médiatiques assiégeaient déjà le service des urgences et en chiaient des diarrhées d’impatience, cramponnés à leurs cellulaires. Ils étaient assoiffés d’infos fraîches et ruisselantes du sang des victimes. Cependant, parmi eux, un homme dénotait dans le paysage. Le visage émacié, le regard enfoncé dans les orbites. Des rides franches avant l’heure se frayaient à son front haut. Une tignasse noir de jais lui tombait aux épaules et des lorgnons éclairaient deux quinquets émeraude jetant des éclairs alentour. Mais c’était sa taille peu commune qui le différenciait au premier abord. Il était muni d’un simple carnet et d’un crayon. Sa chemise à carreaux semblait avoir couru la poussière de la planète et son accent slave tonnait des salves d’une voix de basse. Tous les autres semblaient le connaître, voire le craindre un peu. Guy Schmitt, de RFI, l’interpella cependant joyeusement. Ils avaient couvert la chute du Mur ensemble.
-         Hé Nils, ça en fait une paye ! De retour à Paris sur l’affaire du siècle. Il parait que la môme, elle est gironde.

Le géant nordique ne releva pas et se contenta de croiser les bras en toisant son confrère.
-          Tu l’as déjà fréquentée la beauté fatale dans votre jeunesse sur les barricades, c’est vrai ce qu’on dit qu’entre vous c’était comme les deux doigts de la main ?
-          Je suis fatigué, j’arrive juste de Berlin, alors lâche-moi, tu veux ?
-          Ca va, ça va, t’as toujours un aspect chiant. Je me demande vraiment ce qu’elle a pu te trouver la bombe humaine !

En guise de réponse, le bonimenteur se sentit battre l’air des petons entre les pognes du géant qui le déposa au sol d’un geste amical.
-           Je te défends de parler d’elle en ces termes. Va aux putes si t’es plus capable de discerner une personnalité affirmée d’une simple oiselle tombée du nid qui aime s’en laisse conter. Léa c’est une grande dame !

Des cris et des flashs mirent fin à l’altercation. Le voilà, il arrive, vite… Sur ordre du Ministre de l’Intérieur en personne, pour calmer les esprits échauffés, Lebourrin improvisa une déclaration.
-          Nous avons la situation bien en main. Des décombres des bureaux de Webactu, le Samu a retiré  trois cadavres, ainsi que le corps de la journaliste Léa Martinez dont l’état de santé est préoccupant. L’enquête suit son cours. Aucune hypothèse n’est à ignorer. Le juge d’instruction chargé du dossier ne m’a pas autorisé à répondre à vos questions.

Il leva le siège et s’engouffra dans un véhicule gris métallisé qui fit crisser ses pneus sur la chaussée. Dans cette atmosphère étouffante, quelque chose le chagrinait. Cette Léa activiste scientifique connue de ses services avait le mauvais réflexe de s’attaquer à des moulins à vent. Il ne comprenait pas les raisons pour lesquelles elle aurait posé elle-même une bombe sur son lieu de travail et penchait pour le suicide maquillé d’une wanabe dépressive. Il n’empêche, de source bien informée, tout en haut de l’échiquier, on voulait lui faire porter le chapeau. Qu’avait-elle découvert pour qu’on veuille la faire passer de vie à trépas ?

miércoles, 16 de marzo de 2011

3. Atterrissage en urgence

(Résumé du chapitre précédent: Léa revient à ses sources originelles dans les Ardennes pendant qu’un méchant « train de la mort » chargé de déchets radioactifs traverse la France. Elle retrouve Dagmar, son amie berlinoise entre manifestations et sauterie écologiste, sur fond de sujet imposé par le rédac : l’empoisonnement provoqué par l’Etat. Comment y retrouver ses billes ? )


-           Qu’est-ce que tu branles ?!! Je suppose que tu as déjà quelque chose à me proposer sur la phosphorescence de l’Université Paris V !
-          Pas la peine de beugler comme ça, Joël. Je ne reviendrai pas à Paris pour pondre ton article merdique ! C’est ici et maintenant que ça se passe ! En Allemagne ! Tu verrais ça ! Mieux que dans ta jeunesse !
- Épargne-moi tes platitudes, je suis né en 1968. Rendez-vous à 14h pour une réunion d’urgence. C’est à Paris qu’on te paye, je te signale.
- Je ne peux pas !
- A 14h précises. Sinon je te fais ramener  par la peau du cul. Il y a du nouveau. Sois là.

Il y avait du nouveau. Un prix Nobel américain, Daniel Carleton Gajdusek, venait de mourir en Norvège, où il se trouvait sous liberté conditionnelle. Il avait démontré que le prion bovin (le vecteur de la maladie de la vache folle) restait actif au moins trois ans dans la terre, ce qui impliquait  de sérieuses conséquences quant aux engrais industriels, constitués dans leur grande majorité à base de farine de viande et d’os. À la fin du siècle dernier, les autorités US, fort embarrassées par le manque à gagner en matière de récupération des cadavres bovins, l’avaient accusé de pédérastie pour une affaire douteuse vieille de 40 ans, en profitant au passage pour détruire son laboratoire, ses archives ainsi que sa réputation. A la fin de sa vie, Gajdusek avait trouvé refuge en Norvège, à la condition expresse de ne plus jamais aborder les thèmes de sa recherche, quand bien même fut-ce en privé, puis il était mort d’une mort atroce et expresse, un cancer foudroyant et généralisé dont on ne connaissait pas les marqueurs génétiques. Or, dans ses jeunes années, ce scientifique avait très bien connu et fréquenté Paris V, où il avait effectué des stages alors qu’il étudiait à l’université de Rochester.

Bien entendu, dans la salle de rédaction de Webactu, ce fut Maurice, comme d’habitude, qui lâcha la première salve :
-          Allons bon ! Bientôt, pour un rhume, ce sera aussi la faute à l’université Paris V, laquelle rend cancéreux, pédéraste et pré-bronchitique ! Pourquoi on ne déclare pas la polonaise « traître à la nation française », tant qu’on y est ? 
-          Maurice, t’arrête tes conneries à deux balles. Le Monde.fr enquête sur les essais réalisés par les militaires français avec l’agent Orange en Indochine. Et l’Humanité veut rouvrir le dossier de l’amiante. On est dans le vent, les gars. Faut battre le fer tant qu’il est chaud, les enfants. Donc, toi, Maurice, tu t’occupes de Gajdusek. Ce sera notre Portrait Exemplaire. Notre accroche actu, ce sera bien sûr l’université Paris V. Léa, qui nous a ramené le sujet, en sera chargée…
-          Ah, non, pas question. L’accroche actu doit me revenir cette semaine !
-          D’accord, Maurice, trancha Léa, épuisée par ces marchandages ; je te laisse l’accroche actu et je prends la mort du Nobel américain en Norvège.
-          C’est bien, vous commencez à être raisonnables, jubila Joël ; Thierry, de quoi veux-tu t’occuper ?
-          Franchement, j’hésite entre le LSD et l’hormone de croissance…
-          Prends des vitamines, mets-toi les piles, mon coco… Ya personne pour les diffusants du pétrole dans les marées noires?
-           Je prends !
-          Vous voyez bien qu’on y arrive…
-          Moi je vous dis qu’on va s’attirer des emmerdes !
-          C’est évidemment une éventualité dans l’ordre des possibles…
-          Il faut aussi espérer que Léa ne nous entraîne pas dans de nouvelles digressions.

Ils tournèrent tous la tête vers elle, en un sourire ironique commun. En guise de réponse, elle haussa les épaules.  On sonna à la porte.
-          Qui c’est ?
-          Pizza Service ! Deux margaritas, une quatre staggiones, une bomba mexicana au chorizo !
Ils se demandèrent qui avait bien pu commander la bombe mexicaine au chorizo mais de toute façon, ça tombait bien, ils avaient terriblement faim.

miércoles, 9 de marzo de 2011

1.       Isotopes universitaires

Le cliché du laboratoire historique, sis au cœur de l’université de Physique Paris V, ne laissait aucune place aux doutes: Marie Curie connaissait bel et bien le danger du radium. Léa, qui avait amené le cliché, ne s’était pas trompée : on ne place pas un mur de 5mm de plomb à côté de son lit simplement pour faire tendance. Face à l’évidence, dans la salle de réunion de Webactu, un de ces nouveaux magazines d’Internet, les esprits des journalistes s’échauffèrent. Les critiques les plus libres étaient admises par Joël, le rédac’ chef, lequel, à défaut de payer correctement ses collaborateurs, se plaisait à leur laisser la bride sur le cou. La plupart du temps, les résultats étaient là. En bon trotskyste, Joël était un adepte de la partie carrée en guise de brainstorming, il prétendait que c’était créatif au niveau des contradictions internes inhérentes à tout texte. Mais cette fois-ci, en dépit des évidences, ça partait dans tous les sens. D’autre part, assumer le côté morbide du progrès dérangeait profondément, même les plus radicaux.
-          Pourquoi nos ancêtres n’auraient-ils pas eu droit à l’erreur ?
-          Mais ils ne se sont pas trompés ! Ils n’étaient pas au courant, un point c’est tout ! Il n’y a aucune  preuve que ce soit Marie Curie qui ait installé cette paroi de plomb !
-          Oui, sans doute un recteur transi qui a voulu lui rendre hommage …
-          D’accord, mais Marie Curie savait. Le mur de plomb sépare son laboratoire de sa salle de repos.
-          Encore faut-il le démontrer. Et puis de toute manière, un siècle plus tard, alors que tous les acteurs sont morts et enterrés, qu’est-ce que ça change ?! On se lance dans la diffamation des défunts ? C’est chouette.
-          Regardez bien à l’arrière-plan. Dans le jardin de l’université que l’on voit depuis la fenêtre, leur signala Léa. J’ai pris moi-même la photo il y a quelques jours.

Un double clic les rapprocha du détail photographique. A côté du laboratoire historique, sous les tilleuls, il y avait bien deux bidons jaunes entr’ouverts, marqués des trois triangles à la pointe coupée, noirs sur fond jaune. Aucun doute à ce sujet : du matériel radioactif était entreposé là.
-          D’un autre côté, c’est logique. C’est là qu’on a découvert la radioactivité. Ils ont utilisé toutes sortes d’appareils, de mesure ou de manipulation, qui ont été contaminés. Il y a des petits inconvénients  que l’on ne peut pas éviter si on veut progresser
-          Sauf que ces isotopes une durée de vie de cent mille ans au bas mot et que ça fait seulement cent cinquante ans que la polonaise a fait ses expériences ! Sauf que ces bidons, en plein centre de Paris et au cœur d’une prestigieuse université, devraient être hermétiquement fermés !aboya Léa.
-          Ce sont peut-être des collectionneurs qui ont voulu chaparder des pièces historiques…
-          Sauf que le laboratoire se situe au cœur de l’université de Physique, où sont censés se préparer les meilleures têtes pensantes de France et d’Europe !
-          Attends. Tu veux dire que ces bidons ne sont pas là par hasard ? Mais pourquoi feraient-ils cela ? C’est assez suicidaire au niveau national d’irradier les futurs scientifiques… Ce serait comme se couper de ses propres forces vives, comme une seconde Terreur, non ?
-          Pas si tu mets ça en regard avec les statistiques. Elles disent que les scientifiques entre 25 et 35 ans sont si déterminés qu’ils n’hésitent devant rien dans le seul but de monter leur laboratoire, la première marche sur l’escalier du succès. Ce n’est qu’à partir de 45 ans qu’ils se souviennent de leurs passions de jeunesse et commencent à faire de la recherche expérimentale. Mais ce n’est que passés les 55 ans qu’ils osent enfin se dresser contre les multinationales, en dépit des pressions, et ce seulement s’ils se sont fait un nom, sur la base d’années d’obéissance. Donc, si tu t’arranges pour ne pas avoir de scientifiques de plus de 55 ans, tu t’évites beaucoup de problèmes économiques voire quelques krachs boursiers, tout en conservant un très bon niveau technologique grâce au travail des jeunes, qui font ce qu’on leur dit et ferment leur gueule. Et tout ça rien qu’en assistant aux cours dans les universités contaminées ! Pas même besoin des habituels tueurs à gage…
-          Mais c’est du délire paranoïaque !
-          On a aussi dit ça pour la centrale nucléaire du Blayais… Dire qu’il a fallu une inondation pour qu’on se rende enfin compte que la centrale n’était pas entretenue…
-          Oui, on peut dire qu’en France on a fait mieux que les Soviets. Ceux-là avaient évacué 135.000 personnes… Mais ici personne n’avait préparé l’évacuation de Bordeaux…
-          Ils ne pouvaient pas évacuer Bordeaux, ils étaient en pleine inondation.
-          Raison de plus. Tu t’imagines un accident de type Tchernobyl dans un marais ? 

Joël, le rédac’ chef qui jusque-là n’avait rien dit, apaisa les piailleries d’un geste de chef d’orchestre. 
-          Les enfants ! On revient à nos moutons ! Moi, Léa, j’y crois à ton sujet sur l’université Paris V. On a remarqué une recrudescence de cancers chez les physiciens ayant étudié dans cette université, c’est paru dans un journal médical anglais… Mais je crois qu’il faut élargir le sujet et traiter tous les cas d’ »empoisonnement étatique ». On y mettrait les universités radioactives, l’amiante, l’agent Orange, le LSD, la vache folle et l’hormone de croissance, les diffusants du pétrole voire les cellules souche mais on laisserait ouvert à tous les autres poisons d’Etat, dont les conséquences ont été dissimulées au plus haut niveau. On démontrerait que les scientifiques connaissent toujours les dangers inhérents à leurs recherches mais que la nécessité de reconnaissance, l’appât de l’ambition, les poussent à prendre des risques inconsidérés. On leur promet qu’on les couvrira et que leur forfaiture envers l’humanité sera pour toujours historiquement ignorée. Mais on les manipule, c’est évident. Pour ma part, je suis sûr que Pierre Curie n’est pas mort par étourderie comme on le prétend. La société, telle Saturne, dévorant ses enfants. Ça ferait un vrai sujet et on mettrait la peinture de Goya en accroche, ça pèserait ses milliers de visites. Bon. Les enfants, vous me travaillez ça et on se retrouve dans quelques jours… Et je veux un dossier construit, pas deux-trois conneries dans un archive.txt ! Au boulot, bordel de merde !
Ils s’étaient tous séparés comme une bande de moineaux, après un dernier verre dans un bistrot « vintage » de la rue de Charonne. Rapidement, Léa, la seule femme de l’équipe, et pas vraiment hétérosexuelle au sens propre du terme, sentit grincer ses cervicales. Luis, le dessinateur graphique lui massa un peu les épaules, au grand chahut des autres anciens combattants, lesquels se prétendirent tous spécialistes de shiatsu. Elle se dégagea du groupe, secoua sa chevelure et prit son sac.
-          Je ne me laisse pas toucher par n’importe qui,  lança-t-elle, glaciale, en guise d’adieu.

Ils la regardèrent sortir en silence, le tactac de ses talons hauts marquant seul son départ. Maurice, le héros de mai 68, conclut :
-          Eh ben, depuis qu’elles sont nos collègues, plus rien n’est possible… Moi je vous le dis, on n’a pas gagné au change avec la putain de Libération des Femmes !

Léa prit le chemin des quais jusqu’au Jardin des Plantes afin de rentrer chez elle. Au bord de la Seine, il y avait souvent des poivrots inoffensifs, qui se contentaient de la complimenter, avec plus ou moins de bonheur, selon leur état d’ivresse. Mais ces êtres n’étaient pas animés de passions possessives, au contraire ces hommes avaient voulu laisser derrière eux tout ce qui les avait attachés. Pour Léa, ils ne représentaient qu’une préparation à la rencontre qui allait se produire, au-delà des grilles du Jardin des Plantes. Lorsqu’elle revenait chez elle, elle avait souvent besoin de s’arrêter quelques instants devant les cages. Le regard limpide des simiens la lavait de toutes ces conneries humaines, la lubricité de Maurice, l’agressivité de Thierry ou la manière qu’avait le chef de pontifier, paternaliste en diable. Léa sentit la nausée menacer.  A peine les supportait-elle encore.

Heureusement, l’œil jaune du bonobo ne brillait que d’un immense espoir de liberté. Parfois il bandait et se masturbait distraitement, le regard toujours tourné vers un au-delà pour lui inaccessible. Léa savait que sa situation n’était pas si différente que celle d’un singe en cage, que l’on autorisait à faire quelques mimiques mais que l’on prive de toute liberté d’aller voir ailleurs.

2.       Un train dans la nuit
(Résumé du chapitre précédent : Léa, journaliste scientifique à Webactu, est persuadée de certains dangers d’irradiation au radium dans le sillage du laboratoire de Marie Curie, concernant l’université Paris V, étant donné le nombre élevé de cancers décelés chez les chercheurs. Difficile de convaincre les collègues… !) 

On a tous eu un nounours, une girafe, un héron, un tigre voire un crocodile ou même une tortue qui nous a accompagné dans les premiers instants de notre vie et qui nous suit tout au long de notre existence. Une des nombreuses contradictions de Léa se nichait dans la Singette, une marionnette exubérante offerte par ses parents à Noël lors de ses trois ans.  Bon an mal an, sa fourrure s’était érodée, son regard émoussé. Dans un délire de pacotille, elle avait décidé de lui donner une seconde chance, profitant d’un séjour dans les Ardennes pour fleurir les tombes de ses ancêtres.

Léa gravita autour de la boucle de Monthermé et voulut de visu se rendre à l’évidence de l’excroissance dans le paysage qui avait tant remué les ardennais manifestant(e)s dans les années soixante-dix. De ses cheminées, une fumée odorante s’élevait dans un ciel lavé de bon matin. Elles crachaient leurs vapeurs de torpeur. Des barbelés cernaient l’édifice. En lettres capitales la centrale nucléaire de Chooz rendait impraticable la baignade et le canotage dans les eaux de la Meuse. Une rivière de bonne aventure pourtant vantée des darons, du temps immémorial où l’existence avait un sens non alternatif, pied-de-nez à la fée électricité à tout consommer comme seule source d’énergie. Ce qui lui rappela brusquement, comme un renvoi émétique, le sujet imposé par le rédac’ chef : l’empoisonnement étatique. Encore un de ces marronniers[1] tellement atroces qu’ils sont tout juste bons pour s’enfoncer sous la couette avec la Singette et ne plus penser à rien. L’État : irresponsable ou inhumain ? Apparemment, les sponsors de Webactu devaient considérer le cocooning comme une valeur montante. La peur vendait toujours aussi bien.

Le regard de Léa s’absorba en direction de sa marionnette. Le jouet était rivé à l’écran de son ordinateur. Cette étrange réalité se confondait entre le passé simple et le présent de tous les désagréments. Pêle-mêle : les insultes de Joël, soixante messages de spam, des publicités pour des offres mirobolantes ou des concours voire des offres de soutien-gorge vibrants. Puis enfin, cet email envoyé de Berlin. Le message était vide et contenait des images et du textuel concernant « Le train de la mort » qui traversait  une partie de la France avant d’entrer en territoire teuton avait été accueilli par une liesse populaire à ne pas s’en laisser compter.  Les news de Google lui apprirent que son amie Dagmar s’était déplacée depuis Berlin pour couvrir l’évènement pour le compte de Weimar Republik, le site d’une coopérative d’artistes et d’activistes berlinois. Ah, Dagmar ! C’était une enragée de la vie, à l’abordage de l’actualité et pas de quartier ! Dans les bureaux de Weimar Republik où elle pointait son clavier, on l’avait surnommée affectueusement  la « Pasionaria» !  Elle avait les traits éthérés du célèbre personnage de Stoker assoiffé de sang frais… du sang des exploiteurs. Elles se promirent de se retrouver en l’instant précis où les CRS chargeraient. C’était un private joke, en l’honneur de leur jeune temps, quand elles brisaient la charge des CRS face aux étudiants de médecine en faisant outrageusement voler leurs jupes, à cheval sur la nerveuse Husqvarna Trial Spéciale[2] de Dagmar.

Tout au long du passage du train, de Normandie en Alsace, la démonstration de force des opposants à refuser de voir déverser ce chargement avait de quoi redonner du baume au cœur. Les éditorialistes politiques créditaient la recrudescence des verts allemands à plus de 30 % d’électeurs soit à part égale avec les sociaux-démocrates. Du jamais vu dans l’histoire de cette jeune Allemagne réunifiée. Néanmoins, ni Léa pas plus que Dagmar, qui avaient déjà pu contempler le désastre de ces coalitions Outre-Rhin, n’était dupe ! Les girouettes vertes s’accordaient aux violons de la surenchère des plus offrants. La figure tutélaire du Grand Rouge, déjà passé par toutes les obédiences des échéances politiques pour asseoir sa renommée, avait de quoi donner des sueurs froides.

Léa suivit la course du train plombé au milieu de grandes manifestations. Elle retrouva  Dagmar grâce à Facebook et GoogleMaps. Elle était ravie : au centre de l’action, bien qu’elle sache à l’avance qu’elle n’obtiendrait pas le feu vert du rédac chef pour un article spécifiquement sur les déchets radioactifs. Et puis il lui servirait son éternelle litanie : traiter ce que lui avait imposé…  Oublier les digressions, si heureuses fussent-elles… L’empoisonnement étatique tel un corset !  Pourtant ce train de déchets n’était pas hors sujet, loin de là ! D’autant qu’Areva avait affirmé que ce n’était pas le premier ni le plus important historiquement parlant! Où s’étaient donc enfuis les autres transports honteux (spécialité cocorico) de milliers de tonnes de déchets nucléaires ? Si ce n’était pas de l’empoisonnement d’Etat, voire de Communauté… Mais Léa savait qu’elle pourrait toujours fourguer ses textes dans les pages web des revues féminines, qui cherchaient en ces temps-là à s’ouvrir à de nouveaux et passionnants contenus. Dès lors elle ne se contint plus et se lança à corps perdu dans cette grand-messe  de mêlée écolo. 

Les acolytes du Grand Rouge, désormais vert de gris adepte du ballon rond, lui firent une grosse impression. Ils encadraient l’événement comme à la télévision, se chuchotant entre eux par le biais de minuscules micros portables dont ils vérifiaient sans cesse l’effectivité. Ils guidèrent Léa jusqu’à l’autel des réjouissances. Dans l’Espace Central, un grand quotidien français avait organisé en collaboration avec une revue d’économie allemande un forum intitulé « Pour une planète durable ». La grande farce du sous-développement soutenable pouvait commencer. Une certaine Cécile à la poitrine avantageuse, sacrée porte-parole de tous les écologistes franchouillards, combla les attentes en montant à la tribune « On a tendance à croire que les écologistes considèrent que le pétrole c’est noir, c’est sale, on n’aime pas. C’est pas du tout ça ! Au contraire, le pétrole est extrêmement précieux, extrêmement utile. On ne connaît pas de substituts faciles à utiliser pour l’ensemble de ses usages, donc il faut le préserver ». Et de renchérir qu’une entreprise pétrolière allait subventionner la campagne des Verts en 2012. « Il faut reconnaître que cette ressource fossile est tout simplement prodigieuse. Elle peut faire voler des avions, structurer des prothèses de hanche, couvrir des corps, protéger des familles, emmener des employés sur leur lieu de travail, en bref aider et soutenir dans tous les actes essentiels de la vie d’un homme… Voyons-la comme une énergie aux usages extraordinaires ! ». D’autres débats de la même qualité oncologique enveloppèrent un auditoire formaté à l’eau bénite applaudissant avec art, tandis qu’au-dehors les activistes s’enchaînaient aux rails pour empêcher l’avance du train de déchets nucléaires. Il y eut aussi le numéro de clown d’un Ministre archange de la croissance verte.  La sauterie aurait manqué de faste sans la présence incommensurable d’Axelle de Rothschild, qui frappait de son éventail de dentelle noire tous ceux qui lui plaisaient, qu’ils fussent de droite, de gauche ou encore verts voire même rouges (une espèce en voie de disparition). Il y eut d’autres énormités et personnalités au cours de cette grande fratrie festive, de ce festival de l’écologiquement correct, qui aurait manqué de charme sans la cerise sur ce gâteau à la crème : la présence d’un psychiatre, archange des médias et écho des ragots, qui préconisait devant un large public la résilience de la couche d’ozone. Léa se sentit étourdie par cette pérégrination, en conséquence de quoi, sous la tente qu’elle partageait avec Dagmar, la rédaction du fameux article s’embourba quelque peu dans un enfer de Dante contextuel.

Elle se remit difficilement de son intrusion dans l’affairisme vert-de-gris et choisit, en guise de distraction, de s’encorner à présent sur les ramifications du trafic d’uranium en tous genres en relation avec le « train de la mort ». Les munitions bourrées d’uranium appauvri continuaient à bien se vendre dans les pays en voie de développement. Ça relevait de l’empoisonnement étatique. Mais elle devait se concentrer. La journaliste avait deux jours devant elle, pas une heure de plus pour présenter un navet séduisant sur les manifestations écolos françaises dans la section « Hot » d’un magazine féminin… Elle avait donc largement le temps de se livrer à l’un de ses rituels. Abstraite de son enveloppe de fringues, assise en tailleur sur une natte de raphia, elle  tirait sur un délicieux pétard d’herbe. Les micro enceintes solaires lui trémoussaient les pavillons d’un Teen Town du Weather Report avec Jaco Pastorius au mieux de son manche de basse, quand son cellulaire fit vibrer son tas de vêtements, du fin fond de ses poches…


[1] Actualités qui reviennent périodiquement
[2] Moto de cross hongroise