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L'une vit au milieu de la Méditerranée, l'autre sur les rives de l'Atlantique. Ils ne se sont jamais vus mais écrivent à quatre mains et deux citrons givrés.

jueves, 28 de julio de 2011

21. Parfum phérormonesParfum phérormones

21. Résumé du précédent épisode : Léa en discussion avec le mystérieux inconnu cravaté en ressort assez déstabilisée. Une décision capitale entre les activistes doit être prise à son sujet.  Il en va de leur survie !

Léa repoussa les draps, qui douloureusement frôlèrent ses tétons enflés, et prit sa tête entre ses mains. Elle haletait encore. Une main d’homme manucurée jaillit hors des draps et pinça délicatement mais fermement le téton gorgé de désir. Léa geignit sans dégager sa tête.
-                     Mes amis disent que tu es extrêmement dangereux.
-                     Ils n’ont pas tout à fait tort.
-                     Mais enfin tu te rends compte de que tu me forces à les trahir ?
-                     J’en suis flatté au plus haut point. Amène ton cul par ici, j’ai encore envie de te sauter.
-                     Arrête tes enfantillages, ils ont envisagé de te tuer.
-                     Mais d’abord tu me fais une pipe comme tu sais si bien le faire avec ta grande bouche de salope. Allez, hop, plus de discussion, au boulot.

De nombreuses heures passèrent encore, dans la chambre d’hôtel qui donnait sur les Ramblas. Alexander l’avait tringlée accrochée au balcon, il lui avait ensuite abondamment léché le minou, la porte grande ouverte sur le personnel de nettoyage au demeurant au préalable copieusement arrosé. Léa l’attacha au lit pour le dévorer avant de s’empaler sur lui, ce qui dura des heures, comme s’il était sous perfusion de Viagra. Ils grognaient, bavaient, s’affrontaient et recommençaient. Quand l’aube commença à rosir le port de Barcelone, la boîte de préservatifs roses était épuisée et ils étaient étendus tous les deux, côte à côte, la main dans la main. Alexander avait une voix un peu rocailleuse, qui remuait Léa au bas-ventre, en dépit d’elle-même.
-                     Ma famille est de Sarajevo. C’est là-bas qui m’a fait ce que je suis. Tu sais ce que nous avons en commun ?
-                     Pas grand-chose.
-                     Nous ne jouirions pas aussi fort.
-                     Tais-toi sale macho ou je te refais une pipe.
-                     On est tous les deux addicts au danger, à braver tous les interdits, à nous foutre de nos tabous, à faire ce qui bon ou mal nous semble.
-                     C’est pas pour les mêmes raisons !
-                     Mêmes causes, mêmes effets, chérie. Nous avons la nécessité du même exutoire : le sexe, sans commentaires oiseux. Pour la pipe, je suis partant.

Il n’y avait pas moyen que ça s’arrête. Parfois, en plein milieu d’une acrobatie, Léa tentait de penser à Dagmar, mais jamais elle n’arrivait à se concentrer suffisamment longtemps. C’était affolant tout de même mais surtout délicieux et, dans la vie d’une activiste en état de recherche et capture, il n’y a pas tant d’occasions que ça de s’amuser.

Tout avait commencé pourtant de manière assez formelle. L’homme aux lunettes noires avait donné rendez-vous à Léa pour la première livraison du remboursement de la dette dans le magnifique hall art déco de l’hôtel Fonda España. Elle était arrivée un peu en retard, avec sa mallette de backgammon pleine d’euros flambant neufs et ses talons aiguille, entre pute et touriste nordique, comme l’homme aux lunettes noires l’avait exigé.  Elle a jeté le jeu sur sa table. Il l’attendait avec deux martinis dry et leur olive, tout juste servis, comme s’il avait su très précisément à quelle heure elle ferait son entrée. Elle le trouva très énervant, avec ses grands airs. Il entrouvrit le jeu de backgammon afin d’en vérifier le contenu. Satisfait, il se recula sur sa chaise et observa Léa, qui boudait, furieuse.
-                     Je vois qu’on devient enfin raisonnable…
-                     Bien sur, sous la menace…
-                     Prenez votre Dry Martini, ce barman est un génie du shaker.
-                     … Il en manque un peu… Nous avons eu des frais…
-                     Bien entendu. N’oubliez jamais que nous sommes du même bord… Nous aussi sommes anti-système et pro-démocratie. Les dictatures sont toujours très jalouses des associations de notre genre…
-                     Oui, mais vous manipulez et ne pensez qu’à la corruption.
-                     Parce que vous et vos copains n’êtes pas forcés par nos adversaires, le système légalo-capitaliste, de faire de même ? Laissez-moi rire. Une vraie bagarre laisse toujours des traces de sueur sur le corps de l’autre… Nous avons pourtant des intérêts communs… Nous pourrions joindre nos forces au lieu de nous affronter…
-                     Et dans quel but ? Provoquer un krach boursier à Kalua Lumpur ou une révolution à Manille ?
-                     Nous laissons ces choses-là aux amateurs. Mais puisqu’on parle d’Asie, savez-vous qu’il existe une centrale nucléaire abandonnée aux Philippines ? Le dictateur Marcos voulait l’indépendance énergétique pour son archipel, ainsi que la possibilité de faire de bonnes affaires avec l’Afrique de l’Est ou l’Iran, par le commerce des sous-produits. La centrale a été construite à Bataan et chargée, mais jamais activée. A présent les philippins songent à la transformer en attraction touristique, car ils n’ont plus le budget pour correctement entretenir le monstre? A votre avis, combien de temps avant le prochain tremblement de terre aux Philippines, combien de temps avant que les intégristes musulmans philippins mettent la patte sur ce trésor de plutonium non activé ? 

Non loin de là, dans le bar La Vaca, les amis de Léa, passablement confus, s’étaient réunis. Dagmar désirait partir au plus vite pour Zegg, la chaleur l’étouffait à Barcelona.
-                     Tu ne vas tout de même pas laisser tomber ton grand amour ?
-                     C’est peut-être elle qui m’a laissée tomber !
-                     C’est vrai que c’est étrange qu’elle ait voulu retourner seule à Can Más Deu…
-                     … et qu’elle n’y soit jamais arrivée, dixit Jordi ! Bordel, je la connais, la garce !
-                     Moi, en tous cas, je reste et j’attends Léa. Et reste polie avec elle, Dagmar ! Toi et Joël vous partez à Zegg, où vous préparerez le terrain en vue de notre arrivée… En train, c’est plus sûr. Toi, Joël tu seras un universitaire en communication qui voyage avec sa nièce assistante, Dagmar.

viernes, 15 de julio de 2011

20. Affreux sales et méchants portent tous le même costard!

Résumé du précédent épisode : les activistes sont accueillis chaleureusement à Can Mas Deu, fraternelle utopie en actes à Barcelone. Les débats à propos du nucléaire et du solaire vont bon train. Un drôle de zigoto propose une interview à Léa sans que l’assentiment de tous les autres ne soit à son comble.

La voiture suédoise se posta aux abords des Ramblas où les shorts et les tongs côtoyaient la fine fleur des pigeonneurs. Le souffle chaud relevait les dreadlocks de l’homme en costar. Elles paraissaient si légères, contenu du contraste vestimentaire qu’il portait comme un soutien actif à son maintien. Mais à Barcelone, plus que partout ailleurs dans les autres grandes métropoles européennes, on se la jouait dégagée. Dans une ruelle une enseigne vous tapait dans l’œil : bar Marsella.
-         Ah oui, c’est pas du côté de Raval, un quartier vachtement sympa et vivant avec plein de frangines très ouvertes ?
-                     Tu parles Dagmar, des frangines avec des poils aux seins ! Même qu’il y en avait une bien allumée qui m’a juré qu’elle avait rencontré la vierge sur Montjuich[1]. 
-                      On t’écoute Léa. Raconte ta discussion avec le cador.
-                     On s’est installés à une table et tout de go, ce goujat a annoncé qu’il voulait parler affaire. Je me sentais toute petite en ce haut lieu convivial qui n’usurpait pas sa réputation. Alfred Jarry et même Verlaine y avaient déjà posé leurs nobles fessiers et refait le monde à leur image. Les miroirs mats de poussière ainsi que les étagères recelant des bouteilles invitaient à la détente et aux confidences. A peine étions nous entrés et installés, que la barmaid à crête d’iroquois avait déjà déposé le verre d’absinthe à notre intention.
- C’est la boisson qui fait fureur ici.
Léa s’apprêtait déjà à porter à ses lèvres l’élixir….
-                     Vous n’y êtes pas du tout ma chère ! C’est tout un cérémonial qui va s’accorder parfaitement à notre conversation. La technique consiste à tremper le morceau de sucre dans le liquide avec votre cuillère puis le sortir en le laissant fondre au-dessus de l’alcool, un petit peu dans le pur style des junkies avec un briquet afin de le caraméliser. Plongez le sucre dans le verre qui s’épongera et régalez-vous. A vous de goûter.
-                     Hum ça a comme un goût d’anis.
-                     Je sais tout de vos agissements et où vous vous cachez. Quel que soit votre planque je vous retrouverai. Vous avez emprunté une somme qu’on veut récupérer avec intérêts.
Léa s’était levée brusquement ouvrant sa musette et extirpant son Luger cadeau de Dagmar. L’homme fut plus prompt à la réplique, qu’elle ne l’avait calculé. Il avait bloqué son coude et récupéré son arme, puis lui avait gentiment rendu avec un sourire complice.
-                     Laissez tomber votre antiquité, je vous croyais plus raffinée. Vous me décevez. C’est aussi ce que je pensais en étudiant votre dossier. Vous êtes des activistes amateurs. De grands penseurs aux idées creuses et totalement inoffensifs, sauf en ce qui concerne votre don de subtilisation des grosses sommes par le biais du virtuel. Là je crie au génie. Vous me rappelez un peu le héros du film Cavale[2], un terroriste qui s’évade de taule au bout de 15 années et se retrouve tout seul avec la réalité et ses idées d’antan de la révolution qui l’ont dépassé d’un cran. Les temps ont changé et surtout de nos jours. Dans les années 70 et 80, les terroristes du groupe Baader / Meinhof, les Brigades Rouges ou en France les militants d’Action Directe étaient pourchassés pour leurs actes politiques délictueux. L’Allemagne a libéré tous les militants impliqués dans ces mouvances. En France, ceux qui ne sont pas crevés de la peine de mort à perpétuité sont tous bousillés et on recule encore leur âge à prendre la retraite en liberté. Aujourd’hui, pour un pet de travers l’Etat envoie son escadron de la mort pour circonscrire l’affreux pétomane. Seule l’affaire de Tarnac a éclaboussé en plein jour. C’est l’arbre qui cache la forêt. Déjà en mai 2007, après la découverte d’un sac en plastique contenant des bouteilles de liquide incendiaire sous une dépanneuse de police garée rue Clignancourt à Paris, ce fut l’émeute paranoïaque dans les couloirs du ministère de l’Intérieur. La chasse à l’ADN était ouverte. La mouvance anarchiste et autonome était dans le collimateur. Le ministre Toutfeutouflamme brandit la menace terroriste. Et les bavures débordèrent en plein jour. Pour une infime bombe lacrymogène dans un sac, lors d’une banale manif, vous en preniez pour sept heures de garde à vue. Sous prétexte d’une consigne très stricte de la préfecture qui invitait à interpeller les individus « dont l’apparence et le comportement laissent supposer l’appartenance à un groupe à risque de la mouvance anarchiste ». La section antiterroriste du parquet avait les coudées franches pour mettre à l’ombre les individus louches selon les soupçons d’un nouveau délit de sale gueule. La Mauvaise réputation revue et actualisée par un Brassens et direct, on l’aurait mis au niouf, le poète révolté. En 2009, dans la nuit du 4 décembre, des gus s’attaquèrent à des distributeurs automatiques de billets avec des marteaux, de l’acide et de la colle afin de les rendre inopérants. Une soixantaine dans l’est parisien furent touchés par leur sauvagerie.
L’homme ouvrit le nœud de sa cravate et s’épongea le front avant de reprendre. Léa considérait le lustre antique.
-                     Je reprendrai bien un second verre de cet excellent breuvage qui m’ouvre de nouveaux horizons…
-                     Non. Je veux que vous gardiez les idées claires à tous mes propos. On vous sait parfaitement innocente de la bombe qui a explosé dans le local de votre webzine. Mais dans le contexte où il faut trouver un nouvel ennemi intérieur pour maintenir dans la peur la populace avant les prochaines élections de 2012. Vous représentez le monstre personnifié à abattre.
Léa haussa les épaules et commença à se lever.
L’homme la perruque de travers qui suait à gros bouillons lui tordit le poignet dans un subtil effort pour garder son sang-froid qu’il avait très chaud en fin de compte.
-                     Je peux vous aider. Il y a un moyen de jeter l’éponge sur votre emprunt substantiel involontaire, (hum hum raclement de gorge) en échange d’une simple enquête. Nous vous garantirons les défraiements en toute quiétude ainsi que le matériel nécessaire à vos investigations et nous pourrons même vous dénicher un grand quotidien français pour vous exprimer. Qu’en pensez-vous ?
-                     Nous ne sommes pas à acheter. Notre liberté n’a aucun prix.
-                     Attention, le plan B peut être très méchant.
-                     Vous ne vous sentez pas ridicule dans vos fringues de cadre moyen sortant du bureau. Oh, mais regardez les deux zigotos qui viennent d’entrer. Ils sont incroyables. Ils ont perdu l’usage de leurs corps.
-                     Ce sont des zentai, ils sont revêtus d’une combinaison intégrale qui recouvre leur anatomie comme une seconde peau. Ils popularisent des pratiques sexuelles venues du Japon. Je parie qu’ils vont se payer une tranche de plaisir au El Cancrejo[3], un cabaret très animé.
-                     Vous êtes incollable, vous alors ! Et une fois enlevé complètement votre uniforme, vous ressemblez à quoi ?
Un rictus marqua la gêne de l’homme qui savait tout.
-                     Léa je vous laisse deux jours. Je ne voudrais surtout pas qu’il vous arrive du mal. Faites passer le message à vos amis. On attend  votre réponse. C’est moi qui vous recontacterai. Je ne vous retiens pas. N’oubliez pas que je suis un ami qui vous veut du bien.
Son regard glissa entre les fesses de l’activiste qui d’un bond s’éjectait du bar, les cuisses à l’air libre.

Léa retrouva son clan à Can Más deu, alors qu’ils commençaient déjà à envisager des hypothèses plus tragiques.
-                     Ce type me parait extrêmement dangereux. A moins que Frédéric ne nous donne un sérieux coup de main afin de construire une fusée en quarante-huit heures, je ne vois aucun moyen de lui échapper.
Joël consultait le guide européen des utopies, son agenda personnel. Nils se frappait un poing sur l’autre tandis que Dagmar criait sa rage.
-                     Scheiss[4], encore un de ces tarés de mec qui aurait dû naître fille ! Je peux l’aider à changer d’angle d’attaque à ce porc !
-                     Pour une fois je consens d’approuver la teutonne. Je crois qu’il ne nous reste qu’une seule solution. Faire disparaitre définitivement ce nuisible
-                      Joël, dis quelque chose !
-                     Je crains que cette sorte d’individu se reproduise comme des clones. Si on le tue, ce dont je me sens totalement incapable et qui n’était pas du tout prévu dans notre escapade, je crois que je me rendrai à la police.
-                     Toi, légalement, tu es mort, alors ne fais pas chier.
-                     Tu ne vas pas baisser les bras, Joël, pas toi.
-                     J’ai repéré d’autres lieux d’utopies qui pourraient nous accueillir en Europe dont un situé à une heure de Berlin. Zegg, tu connais Dagmar ?
-                     Après un cimetière, une léproserie, tu nous proposes maintenant un ancien camp de la Stasi[5] voué en tant que laboratoire des politiques de l’amour. Je rêve ! Vous êtes tous barges !
-                     Faites l’amour pas la révolution, oui j’en ai entendu parler à Oslo.
-                     Il faut choisir, soit on tue l’affreux ou on se barre s’éclater les sens chez nos cousins germains ?
-                     It’s big dilemme ! On met aux voix….

Vos héros favoris prennent une semaine de vacances. Vous les retrouverez mercredi 27 juillet !


[1] (Le Mont des Juifs) 
[2] Film de Lucas Belvaux
[3] Cabaret le Morpion
[4] Merde
[5] Police secrète est-allemande

miércoles, 6 de julio de 2011

19. Et on tuera tous les affreux (Vernon Sullivan)


Depuis le périphérique engorgé de Barcelona Nord, il fallait prendre la sortie Canyelles jusqu’à la gigantesque rotonde Karl Marx (ça semblait un bon signe), puis laisser l’hôpital pour enfants sur la droite. Face au terrain de football, il fallait prendre à droite vers la montagne Segarra, puis tourner sur le premier chemin de terre à gauche, le camí[1] de Santiater, qui menait au cœur du Valls[2] d’en Más Deu, où se trouvait la terre des utopies, l’ancienne léproserie de Can Más Deu, sur laquelle flottait le drapeau noir des anars et okupas.  On était bien à Barcelona, la seule ville au monde qui ait vécu six ans sous gouvernement anarchiste, avant que les communistes du Poum n’y mettent bon ordre, sabordant le navire face à la sanglante avancée de l’armée fasciste.
Sur la carte que Dagmar avait descendue d’Internet, ça semblait facile. Mais Nils avait déjà plusieurs fois fait le tour de Karl Marx, sans parvenir à tirer au clair les panneaux écrits en catalan et remarquablement mal placés, tandis que Léa tournait nerveusement la carte dans tous les sens. Dagmar éclata de rire et les rassura :
-         Ne vous inquiétez pas. Je vois ce que c’est. Quelque chose comme une mesure  fossile sournoise qui a survécu depuis l’ère dictatoriale. On connaît ce genre de musique, dans l’ex-Allemagne de l’Est. Comme nos chers ex-dirigeants et camarades dictateurs ne désiraient pas que nous allions voir ailleurs, eh bien la solution facile et pas chère était de mettre en place une signalisation routière chaotique, embrouillée voire illisible…

Le chemin de terre Santiater était étonnamment bien entretenu. La raison leur en apparut quelques centaines de mètres plus loin : des punkies de crête orange ainsi que des rastafaris aux lourds dreadlocks s’acharnaient à tasser la route, remplir les ornières, arracher les mauvaises herbes, drainer les bas-côtés... Un panneau signalait l’entrée du parc naturel de Collserola, qui, depuis les montagnes ceignant Barcelona, dominait la ville. Celle-ci disparut soudainement derrière le mont Segarra. A présent ils étaient dans une forêt ombreuse et tortueuse de pins maritimes sculptés par le vent, qui exhalaient d’entêtantes odeurs de résine. Les cigales criaient leur désir d’amour, plus fort encore que le bruit du moteur.  Ils étaient dans un autre univers, à dix minutes de la trépidante Barcelona.

Jordi les accueillit au siège social des sans toit, le navire amiral okupa, l’ancienne léproserie de Can Mas Deu, puis les guida au travers des ateliers : mécanique, tuyauterie, récupération, jardinage, cuisine, etc. Niels s’était fait passer pour ce qu’il était : un journaliste norvégien. Les filles jouaient les assistantes et le suivaient, notant tout sur des calepins. On leur déroula les paillassons. A l’étage se situaient les chambres communautaires, où  le séjour était gratuit, et les chambres privées, que l’on payait à discrétion, au-dessus d’un minimum de 10 euros par nuitée. Toute la léproserie était alimentée en solaire, il y avait même un hamman qui fonctionnait grâce à un système récupéré d’une piscine. Léa s’intéressa aux panneaux solaires pour l’eau chaude bricolés, une reproduction de la « boîte noire » de de Saussure. Le tuyau noir de conduite de l’eau avait été entouré de bouteilles de plastique puis placé dans un cadre avec un couvercle de verre. Jordi assura qu’en une belle journée d’été, l’eau montait facilement à 90º. Heureusement qu’ils jouissaient aussi d’une belle et fraîche source d’eau pure. La conjonction des deux eaux permettait de prendre des douches agréables en toute saison. Mais l’alimentation en électricité était assurée par des systèmes solaires commerciaux. Jordi se lamenta sur leur coût élevé et expliqua comment leurs mères s’étaient cotisées afin que leurs fils rebelles puissent aussi jouir du confort moderne, indispensable pour les réfrigérateurs et les ordinateurs, la connexion à Internet. L’électricité solaire et tous ses aléas représentaient leur seule dépense fixe. A cet instant, un type bizarre, qui portait des lunettes noires, un costume italien et des dreadlocks tout à fait pourris, l’interpella comme s’ils étaient tous sur un Forum antique.
-         C’est sur que le solaire, non seulement ça ne fonctionne pas mais en plus ça coûte la peau des fesses.
-         Ecoute, Carles, ne nous fais pas chier. Je suis avec des Journalistes de Norvège.
-         Attends, Jordi, je veux dire quelques mots à monsieur… Quelle solution alors ? Acheter de l’électricité nucléaire à la France ?
-         Non, non, la municipalité ne veut pas nous connecter au réseau, soi-disant pour cause de Parc Naturel. Pour nous, qui vivons ici isolés, le solaire c’est un bon moyen de sortir de l’ornière. Mais ça n’empêche pas que les systèmes soient hors de prix. Sans subventions, c’est impossible. Ce n’est pas rentable comme forme d’énergie.
-         Non mais, tu crois vraiment que les autres sont rentables ? A-t-on vraiment intégré au prix du Kw/h charbon le coût du réchauffement climatique ? Quant au nucléaire… Rien qu’en Suisse, environ 15% des bénéfices nets des centrales nucléaires sont conservés sur un fonds, qui fonctionne comme une caisse de pensions (CAD soumis aux aléas de la bourse), qui sert en cas de coup dur et qui servira en fin de vie de centrale à affronter les surcoûts du démantèlement (aucun pays n’ayant mené à bien cette phase primordiale pour la sécurité des citoyens, les coûts de démantèlement ne sont pas estimés ni  intégrés au coût du KW/h nucléaire, de ce fait très bon marché). La Suisse, avec ses cinq centrales, possède déjà 4 milliards de francs suisses sur ce fonds. On peut s'imaginer que la France en crise, avec ses 57 centrales, ne possède pas un tel trésor de guerre. Dans le cas de Superphénix, une redoutable centrale française dont le démantèlement a commencé (et devrait s'achever en 2038), les coûts s'élèvent déjà à 4 milliards d'euros. D'accord, la technologie présentée comme étant de pointe au moment de sa mise en service a secrété au fil des ans un terrible poison très dangereux, un sodium radioactif qui s'enflamme au contact de l'air et explose au contact de l'eau, ce qui complique un peu le nettoyage. Pour le reste, disons les parties moins affectées de la centrale (80%), les Français le traitent comme de la poubelle normale, c'est-à-dire que les déchets de la déconstruction de centrales nucléaires sont dirigés à peu de frais vers les dépotoirs où la population accumule les ordures (souvent à proximité des agglomérations). Alors, de quels budgets cause-t-on ?
-         Votre point de vue est intéressant, répondit le zigoto. J’aimerais vous faire une interview sur ma radio, Radio-Solomon. Mon bureau est situé dans le barri Gotic de Barcelona. Si vous le désirez, je vous y emmène et je vous ramène après auprès de vos amis.
-         Il faut que je leur en parle mais je crois que ça peut se faire… pour une fois qu’on nous ouvre les ondes ! Pas question de rater l’occasion !
-         Je vais chercher ma voiture.

Tant Dagmar comme Nils ne voyaient guère l’escapade de Léa d’un bon œil. Il fallait qu’ils restent un groupe. Mais Léa insista, séduite par l’opportunité de séduire la Catalogne par les ondes. La voiture du zigoto était une confortable mais discrète SAAB. Nils, connaisseur de ces voitures de luxe du Nord, fit la moue et releva l’immatriculation. Ce n’était pas une voiture d’activiste.  D’ailleurs, qui était ce type qui emmenait Léa ? Jordi le connaissait seulement de vue, et depuis peu encore. Selon lui c’était un provocateur et surtout un emmerdeur.


[1] Chemin, en catalan
[2] Vallée, en catalan