Depuis le périphérique engorgé de Barcelona Nord, il fallait prendre la sortie Canyelles jusqu’à la gigantesque rotonde Karl Marx (ça semblait un bon signe), puis laisser l’hôpital pour enfants sur la droite. Face au terrain de football, il fallait prendre à droite vers la montagne Segarra, puis tourner sur le premier chemin de terre à gauche, le camí[1] de Santiater, qui menait au cœur du Valls[2] d’en Más Deu, où se trouvait la terre des utopies, l’ancienne léproserie de Can Más Deu, sur laquelle flottait le drapeau noir des anars et okupas. On était bien à Barcelona, la seule ville au monde qui ait vécu six ans sous gouvernement anarchiste, avant que les communistes du Poum n’y mettent bon ordre, sabordant le navire face à la sanglante avancée de l’armée fasciste.
Sur la carte que Dagmar avait descendue d’Internet, ça semblait facile. Mais Nils avait déjà plusieurs fois fait le tour de Karl Marx, sans parvenir à tirer au clair les panneaux écrits en catalan et remarquablement mal placés, tandis que Léa tournait nerveusement la carte dans tous les sens. Dagmar éclata de rire et les rassura :
- Ne vous inquiétez pas. Je vois ce que c’est. Quelque chose comme une mesure fossile sournoise qui a survécu depuis l’ère dictatoriale. On connaît ce genre de musique, dans l’ex-Allemagne de l’Est. Comme nos chers ex-dirigeants et camarades dictateurs ne désiraient pas que nous allions voir ailleurs, eh bien la solution facile et pas chère était de mettre en place une signalisation routière chaotique, embrouillée voire illisible…
Le chemin de terre Santiater était étonnamment bien entretenu. La raison leur en apparut quelques centaines de mètres plus loin : des punkies de crête orange ainsi que des rastafaris aux lourds dreadlocks s’acharnaient à tasser la route, remplir les ornières, arracher les mauvaises herbes, drainer les bas-côtés... Un panneau signalait l’entrée du parc naturel de Collserola, qui, depuis les montagnes ceignant Barcelona, dominait la ville. Celle-ci disparut soudainement derrière le mont Segarra. A présent ils étaient dans une forêt ombreuse et tortueuse de pins maritimes sculptés par le vent, qui exhalaient d’entêtantes odeurs de résine. Les cigales criaient leur désir d’amour, plus fort encore que le bruit du moteur. Ils étaient dans un autre univers, à dix minutes de la trépidante Barcelona.
Jordi les accueillit au siège social des sans toit, le navire amiral okupa, l’ancienne léproserie de Can Mas Deu, puis les guida au travers des ateliers : mécanique, tuyauterie, récupération, jardinage, cuisine, etc. Niels s’était fait passer pour ce qu’il était : un journaliste norvégien. Les filles jouaient les assistantes et le suivaient, notant tout sur des calepins. On leur déroula les paillassons. A l’étage se situaient les chambres communautaires, où le séjour était gratuit, et les chambres privées, que l’on payait à discrétion, au-dessus d’un minimum de 10 euros par nuitée. Toute la léproserie était alimentée en solaire, il y avait même un hamman qui fonctionnait grâce à un système récupéré d’une piscine. Léa s’intéressa aux panneaux solaires pour l’eau chaude bricolés, une reproduction de la « boîte noire » de de Saussure. Le tuyau noir de conduite de l’eau avait été entouré de bouteilles de plastique puis placé dans un cadre avec un couvercle de verre. Jordi assura qu’en une belle journée d’été, l’eau montait facilement à 90º. Heureusement qu’ils jouissaient aussi d’une belle et fraîche source d’eau pure. La conjonction des deux eaux permettait de prendre des douches agréables en toute saison. Mais l’alimentation en électricité était assurée par des systèmes solaires commerciaux. Jordi se lamenta sur leur coût élevé et expliqua comment leurs mères s’étaient cotisées afin que leurs fils rebelles puissent aussi jouir du confort moderne, indispensable pour les réfrigérateurs et les ordinateurs, la connexion à Internet. L’électricité solaire et tous ses aléas représentaient leur seule dépense fixe. A cet instant, un type bizarre, qui portait des lunettes noires, un costume italien et des dreadlocks tout à fait pourris, l’interpella comme s’ils étaient tous sur un Forum antique.
- C’est sur que le solaire, non seulement ça ne fonctionne pas mais en plus ça coûte la peau des fesses.
- Ecoute, Carles, ne nous fais pas chier. Je suis avec des Journalistes de Norvège.
- Attends, Jordi, je veux dire quelques mots à monsieur… Quelle solution alors ? Acheter de l’électricité nucléaire à la France ?
- Non, non, la municipalité ne veut pas nous connecter au réseau, soi-disant pour cause de Parc Naturel. Pour nous, qui vivons ici isolés, le solaire c’est un bon moyen de sortir de l’ornière. Mais ça n’empêche pas que les systèmes soient hors de prix. Sans subventions, c’est impossible. Ce n’est pas rentable comme forme d’énergie.
Non mais, tu crois vraiment que les autres sont rentables ? A-t-on vraiment intégré au prix du Kw/h charbon le coût du réchauffement climatique ? Quant au nucléaire… Rien qu’
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